Une chanson d’amour
Nouvelle publiée dans L’Hebdo, en février 2004
Installées sur le marchepied du trottoir. Jambes écartées. Indécentes. Sur leurs lèvres, un sourire malicieux. Elles lèchent systématiquement leurs doigts. Depuis le sommet, compter les phalanges. Une succession de corps; rue déserte. Robes au motif écossais; il s’aligne au vent. Clignent des yeux. Elles respirent en silence. Éblouies. Poudre. Brise ou accélération. Leurs dessous rencontrent l’oeil des passants. Coton qui se détache du ciel, devient mouton puis traînée. Elles dévisagent le haut des immeubles. Leurs sandales de Jésuites claquent; frappent leurs talons. Chevilles maladroites se froissent et s’élèvent. L’asphalte chaud les retient à la terre. Leurs cuisses tremblent dans leur envol: un pas après l’autre. Avancer un sourire dans les yeux. Des pupilles qui brillent de tristesse. Sans se mouvoir. Sans être; sembler.
Fado
Nouvelle publiée dans J:Mag, novembre 2005
Ce matin, j’ai écouté du fado pour mieux me souvenir de ce sud que j’ai découvert, il y a quelques mois à peine. De ma cuisine, des sons qui se risquent à échauffer la brique, crépuscule d’une mauvaise nuit. Fa do, une quarte ou une quinte, selon le sens de lecture. Et des sonorités de tons justes faux pour nous faire pleurer.
Sur le chemin pavé de sillons abrupts, le crissement du tramway. Vieille carcasse qui cogne les rails. Les raccords aléatoires, un trou entre deux morceaux de ferraille. Le passager qui saute, au moment où, heureux d’une prise, il appuie sur l’obturateur. Le chauffeur et ses ouailles sont assis le temps de la course. Une céleste élévation pour arriver dans les mauvais quartiers, le bon port.
Lénine n’est pas mort ! (Un non-récit de voyage)
Nouvelle publiée dans J:Mag, septembre 2005
Moscou, centre ville, au bord du fleuve, à proximité de la fabrique de chocolat, un parc. Une petite odeur écœurante dans mes narines, j’entre pour me promener dans ce jardin fleuri. Ni tulipes, ni rosiers ; ici, ce sont les statues communistes qui ont été plantées. Un cimetière d’une autre époque : un Marx, un Trotski, un Staline, Brejnev, et quelques Lénine trônent sur une pelouse. Le temps de les observer et de réfléchir comment ils ont fait pour les transporter en une seule pièce. Et en ont-ils laissé quelques-uns en ville ? Oui, Lénine est encore là. Place de la Révolution d’Octobre, il est soutenu par ses travailleurs. Chez mes logeurs, un petit dans le jardin, taille humaine, en costume. Et d’autres encore, aux abords des quartiers d’habitations. Des rues à son nom ; il paraît que ça coûtait trop cher de changer toutes les plaques et de refaire les cartes de la capitale.